Que faut-il retenir de la soirée organisée ce mercredi soir par l’adada à la cité théâtre, où Philippe Duron député maire rencontrait un peu plus d’une soixantaine de citoyens, artistes et amateurs de la chose culturelle ?
Retenir que la culture fait recette puisqu’un public assez conséquent était au rendez-vous.
Retenir que Philippe Duron maîtrise son sujet et qu’au final, les deux heures d’explication ont pu paraître bien courtes.
Retenir enfin que cela a pu manquer de « dissensus » et que la culture reste un objet de polémique bien tempéré. Car à l’évidence, le public présent, sans partager les analyses et propos du député-maire, n’a pas, sauf exception, brandi l’étendard de la révolte : nous étions dans l’ordre d’un consensus mou plutôt que dans la joute protestataire. Bref c’était un public en voie de se faire hollandisé et à ce petit jeu, Philippe Duron s’est avéré un expert.
Il aura l’habileté de se couvrir du côté des premiers pas de la nouvelle Ministre, Aurelie Filipetti laquelle, jouit d’un préjugé favorable. Elle hérite d’une situation qui, sans être mirobolante, a vu la Culture tenir son cap, quoiqu’on en dise. Dégradation sans doute, mais la montée en puissance des collectivités locales et territoriales ont, dans la période qui se termine, compensé largement le déficit de la politique de l’État . Mine de rien, les collectivités locales et territoriales sont devenues le principal bailleur de fond du secteur. Comme on dit au pays du rugby : les mouches ont changé d’âne. Donc fort de cette réalité, Philippe Duron a eu beau jeu d’expliquer qu’il y avait pire comme détresse ou marasme que celle des artistes en souffrance ! De quoi relativiser l’inévitable chœur des plaintes et autres colères qui pouvaient monter des travées. On est donc resté entre gens bien élevés et l’on attendra la prochaine émulsion du débat promis le 6 juin prochain où tous les candidats sont invités à la cité théâtre (même principe, même heure et même lieu) pour savoir si un nouveau deal peut soulever l’enthousiasme des foules pour la culture.
Comme disait une chanson des années 70 « la dou ron ron » : ça a ronronné gentiment et sûrement à la cité théâtre ce mercredi soir.
Pourtant il fallait être là !
Parce que, au demeurant, ce fut un exercice de démocratie participative, original. Original en cela que ce sont les citoyens (ADADA) qui ont mené le bal et à l’évidence librement !
Le fait mérite d’être relevé car de la démocratie participative dûment téléguidée et « instrumentalisée », nous n’en manquons pas.
Que des citoyens roulent pour l’intérêt général et à leur compte, sans cautionner quelque politique que ce soit, la chose est assez rare et mérite d’être relevée .
En ce sens la deuxième manche de mercredi prochain, méritera qu’on y prête attention.
En attendant, offrons-nous un condensé de ce qu’ont pu être les échanges de ce mercredi soir (18h/20h) .
Outre l’annonce d’une loi d’orientation et de programmation sur la culture et le dégel des 6% de son budget global1, on notera la mise en place d’une cellule de réflexion sur la loi hadopi et semble-t-il une volonté réelle de faire de l’éducation artistique, une priorité.
Enfin l’intermittence ferait l’objet d’une mise à plat, passé la première année d’exercice. Outre les dispositions nationales, Philippe Duron va être toute la soirée mis sur la sellette pour sa politique de maire ; c’est d’ailleurs pour cet aspect des choses qu’adada souhaitait lui réserver le régime spécial d’un forum exclusif. Sur le terrain local, Philippe Duron pût faire l’aveu de quelques insuffisances, nonobstant la démission de son adjoint à la culture, suivi de la défaillance technico-administrative de la Direction des Affaires culturelles de la ville, aujourd’hui en voie de correction.
Il est vrai que Caen est la seule capitale régionale d’importance sans adjoint affecté aux affaires culturelles. Il fut donc vivement déploré par l’assistance l’absence de concertation s’agissant de culture et le dommage qu’il en résulte pour la démocratie.
En règle général, comme le soulignera vivement, un intervenant, c’est la société civile et le secteur indépendant qui souffrent de maltraitance par absence de concertation. Il fut évoqué le projet de fabrique en maintes occasions comme révélateur d’un flou qui n’avait rien d’artistique. La ville aurait-elle à charge d’accompagner les initiatives citoyennes ou d’instruire elle-même certains dossiers ?Doit-elle aller jusqu’à la maîtrise de dispositifs nouveaux ?. Là-dessus, la position de Philippe Duron n’a pas paru véritablement tranchée. Pas plus que sur les modalités d’intervention des artistes dans le cadre du Plan Educatif Local Le SYNAVI est intervenu pour soulever la problématique des intervenants artistes dans le cadre scolaire et leur absence de statut.
Va-t-on vers l’identification d’un nouveau métier ou verra-t-on l’intermittence s’adapter à ces nouvelles pratiques ?
Quelques intervenants n’ont pas manqué de souligner la réalité d’une culture à deux vitesses avec un sous-traitement constant du socio-éducatif, l’existence d’un secteur institutionnel outrageusement privilégié et un secteur associatif outrageusement maltraité. Philippe Duron dira via les contraintes budgétaires, la nécessité de faire des choix, qu’au demeurant, il dit « assumé ». Oui mais sera-t-il relevé : qui « décide » du politique ou du conseiller technique ? Et où et quand ces « choix » font-ils l’objet d’une discussion ?
Et c’est là, où le serpent se mord la queue et que l’absence de concertation devient une carence rédhibitoire : les décisions semblent prises sans transparence et sans débat avec les intéressés ou avec leur représentants.
Apparaît alors une nouvelles questions : où sont les représentants légitimes du secteur des arts et de la culture ? Les jugements émis sur le terrain de l’art seraient toujours subjectifs, en marge d’une évaluation qui se voudrait objective. Raison de plus pour en discuter objectera Adada. Philippe Duron récusera toute volonté du politique de revendiquer un parti pris esthétique. Il observera que les artistes s’associent librement dans des dispositifs de mutualisation et s’en félicitera en se demandant si ce n’est pas cette orientation qu’il faut encourager comme par ailleurs celle du théâtre de rue qui avec Presqu’île en Fête trouve sa mesure. Finalement la concertation sera promise pour 2013, et le député évoquera l’emploi à travers le renouveau du dispositif « emploi/jeune », l’espoir d’une meilleure distribution des artistes sur le territoire où ils seraient trop présents sur Caen et moins sur l’ensemble de l’agglo… Au passage sera dressé un diagnostic sévère du fonctionnement de Pôle Emploi mis dans l’impossibilité de remplir sa mission au grand dam des chômeurs. La précarité devient dans cette période de délitement du tissu industriel, le symptôme récurent d’une société en crise. Le public ne manquera pas d’évoquer la situation « dramatique » fait aux arts plastiques et les difficultés du secteur danse. Nouveau : un Appel au soutien à la chanson et à la reconnaissance des cultures venues d’ailleurs. En règle général, le secteur indépendant souffre d’être laissé à l’abandon et comme en écho à cette triste réalité, Ouest-France publiait ce Vendredi 1er juin, un article sur la culture et le pari nantais qui se concluait par une réflexion de son adjoint à la culture (car Nantes a un adjoint à la culture) Jean-Louis Jossic (chanteur de Tri Yann) : « On ne va pas chercher ailleurs des stars qui coûtent cher. On utilise nos propres talents, on mouille la chemise. » La journaliste Isabelle Labarre observe que « il y a deux ans, sous la pression des acteurs et structures du cru, la Ville a recadré sa politique culturelle en aidant des petites salles de spectacles et des créations dans les quartiers. » Jossic conclut «La Ville a compris que la culture est un poil à gratter qui transcende. Ce n’est pas seulement faire fonctionner un opéra ou un grand orchestre. Mais inventer des choses qui ne passent pas ailleurs».
Adada ne dit pas autre chose et le redira le 6 juin prochain à qui voudra l’entendre.
Debriefing et Eléments de Compte-rendu critique recueilli le 31 Mai 2012 par J. M.
Note : 1 Le coup du gel du 6% consiste à ne pas dépenser 6% du budget du ministère avec l’arrière pensée d’arriver à boucler l’exercice sans ces 6%.
Synthèse de Robert Weil intitulée « Patience du politique… Impatiences du citoyen »
Obstacles levés
Deux obstacles majeurs aux attentes culturelles du citoyen semblent levés :
La fin d’un état dominé par la culture patrimoniale au détriment du spectacle vivant, conformément à la volonté du nouveau Ministère de la Culture et de la Communication
L’aboutissement d’une lente restructuration des services culturels de Caen et Caen la Mer avec la mise en place d’une équipe de conseillers fraîchement nommés et nous l’espérons donc, la fin de ce que le citoyen local ressentait comme une inertie dommageable.
Reconnaissance des manques
La démocratisation culturelle est en panne.
Le numérique est en gestation.
La danse, la musique, la chanson, les arts itinérants, l’éducation artistique ne connaissent pas la place et la reconnaissance qu’ils méritent.
La précarité des artistes est à son comble.
L’information peine à circuler et rend les démarches périlleuses.
Des opportunités se présentent
Le politique réaffirme son esprit d’ouverture, son refus de toute chapelle et sa disponibilité à l’égard du monde artistique.
Un personnel qualifié a été recruté ou est en passe de l’être au sein du service culturelle.
Le développement du numérique offre des usages à investir.
Le spectacle vivant devrait être davantage aidé.
La question de la Fabrique reste posée
Cette demande portée par l’ADADA tarde à se préciser.
Le rapport que Samia Chehab devrait rendre sous peu pourrait éclaircir un horizon incertain, deux options sont envisagées :
Soit renforcer les équipes existantes comme le Bazarnaom, les Ateliers intermédiaires la Fermeture Eclair…
Soit créer une nouvelle structure.
En conclusion
On peut espérer que les conditions soient enfin requises pour démarrer la co-construction d’une politique artistique et culturelle capable de faire face aux grands défis culturels à savoir :
Comment créer un véritable statut des artistes et la reconnaissance de ceux-ci par les partenaires, en particulier, l’éducation nationale ?
Comment revenir à des financements qui assurent la continuité des actions et mettent fin à la généralisation des financements au projet ?
Comment revenir sur des choix budgétaires ayant mis plus fortement à l’écart certaines disciplines comme la chanson, certaines courants de musique, les arts itinérants… et des formes artistiques plurielles échappant aux catégories sectorielles ?
Comment sensibiliser les publics afin qu’ils participent activement à la demande de culture, notamment ceux frappés par la marginalité à travers la précarité, la pauvreté, l’éloignement des centres urbains… ?
Comment enfin débuter le vaste chantier de la démocratie participative et amorcer un changement de modèle social voulu par le candidat à la députation ?
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